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HOMMAGE

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Il s’appelait Patrice Ndedi Penda

par Aissatou Tatba ( journaliste)

 Le dernier baobab de Banya est tombé.  Après une vie étirée sur près de 8 décennies, il quitte la terre des hommes à l’aurore du   29 décembre 2024, une perte immense pour sa famille, ses amis, la Conac dont il était membre, le village Banya-Yabassi qui l’a vu naitre en 1945 ; une grande perte pour   son pays le Cameroun qu’il a toujours servi avec abnégation.  Au-delà de la tristesse qu’entraine cette disparition, il y a quelque chose de plus fort, selon le mot du révérend pasteur et président de la Conac, Dieudonné Massi Gam,   « c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants ».

Pour ce qu’il a été et ce qu’il a accompli, Patrice Ndedi Penda sera à jamais présent dans les cœurs et les mémoires.  Alors que se tient à Banya le 25 janvier 2025 la cérémonie d’adieu au défunt, alors que celui-ci entame son dernier voyage, les hommages mettent en relief le savoir étendu et la pluridisciplinarité de ce digne fils du NKam issu de la lignée princière des BonaWouan et Nkakè.  Les témoignages rappellent que l’homme qui s’en va relève de la fine crème de l’intelligentsia du département et que le brillant esprit qu’il fut a marqué son temps   par ses œuvres immortelles.

Parlant d’immortalité, Patrice Ndedi Penda a été un écrivain engagé. Il appartient, par conséquent, à cette catégorie d’hommes dont les œuvres, mises au service des causes nobles, constituent la continuité de leur être. Par sa plume, il avait fait le choix de mettre en scène les tares de la société, les actions de l’homme assez souvent saturées de mensonges, d’hypocrisie, d’orgueil etc.  Tout cela à l’effet de sensibiliser et de susciter un changement social positif.

Immortel

La postérité se souviendra qu’à 24 ans, il est déjà auteur d’un illustre ouvrage, Le Fusil, qui sera sacré Prix des auditeurs de l’Ortf en 1969. Elle se souviendra qu’il a été un écrivain prolifique avec à son actif une vingtaine d’ouvrages aujourd’hui inscrits dans les fresques de la littérature camerounaise et africaine.   Les âmes sensibles à la beauté littéraire y   trouveront leur compte car ce dramaturge savait opérer un savant dosage entre la satire, l’humour et l’ironie mordante.  De lui, Ambroise Mbia, une autre icône du théâtre africain, disait qu’il était le meilleur metteur en scène au Cameroun et le meilleur dramaturge d’Afrique Centrale.

Patrice Ndedi Penda avait l’âme du pionnier. Dans divers domaines de la vie professionnelle, il faisait figure de défricheur. Il était en effet de ceux qui ouvrent la voie, qui osent, généralement sans s’encombrer de la peur de l’échec.  Il fait partie des premiers Directeurs de publication(Dp) qui ont cru pouvoir profiter de l’avènement du multipartisme autour des années 90 pour accompagner le « changement ». Le journal satirique Galaxie et l’Ami du peuple qu’il crée à Douala à cette époque impriment très vite leurs marques dans le paysage médiatique Camerounais.

Jeune Journaliste, nous prenions beaucoup de plaisir à travailler à ses côtés, à le voir manier avec dextérité les comparaisons, les hyperboles, les oxymores pour exprimer une idée toujours pertinente qui va susciter une prise de conscience ou faire réagir.  Les lecteurs se tordaient de rire quand ils dégustaient « Le Dougourou », une rubrique de Galaxie animée de plume de maitre par le Dp en personne et qui relatait chaque semaine un cas de goguenardise que lui offrait à voir notre société. A l’image du Canard enchainé, Galaxie informait, dénonçait mais aussi rapportait avec humour les potins croustillants des petits couloirs de l’espace politique.  Nous en gardons un heureux souvenir !

Avant l’ère du pluralisme politique, Patrice Ndedi Penda est dans le transit (après un bref passage comme cadre au Conseil national des chargeurs du Cameroun en 1975). A l’époque, le secteur est largement dominé par les expatriés qui contrôlent pas moins de 90 % des parts de marché.   Comme toujours, il a de l’audace et se lance.   Les sociétés Transcomar et Delgatrans dont il est le promoteur marchent bien.  Vers la fin des années 80, elles sont dans la zone portuaire de Douala des modèles de réussite.    Ndedi Penda sera hélas victime du piratage de son compte professionnel. Pour un transitaire, il s’agit d’un véritable désastre.

Vers l’éternité

Ce fait malheureux lui causa d’énormes préjudices.  A contrario, il contribua à enrichir illégalement les organisateurs qui, à la suite d’une enquête, seront clairement identifiés.     Le coup lui inspira « Les milliards en fumée », un essai (publié en deux tomes 1991et 1996)   sur la corruption au Cameroun qui dénonce les acteurs, leurs méthodes et l’impact de ce fléau sur l’économie. Depuis lors, la corruption devint le cheval de bataille auquel il consacre son énergie et le plus clair de son temps.  Il mettra sur pied une association de lutte contre la corruption. Son expertise en la matière est régulièrement sollicitée par les pouvoirs publics puis en 2006, un décret présidentiel le nomme membre de la Conac (Commission nationale anti-corruption). Au moment de lui dire adieu, le président de cette institution assure   : « Son expérience dans la lutte contre la corruption nous a été d’un grand bien ».

Qu’en a-t-il été de ses liens avec la politique ?  La préférence de Ndedi Penda était de rester loin de l’arène.  Il a flirté néanmoins   avec     au temps du parti unique.  Il sera d’ailleurs élu conseiller municipal à la mairie de Yabassi (et C’est le lieu de rappeler que le défunt était viscéralement attaché à son terroir) mais quand revient le multipartisme, il ne milite nulle part.  Il veut garder sa neutralité.

Patrice Ndedi Penda l’écrivain, le dramaturge, le journaliste, l’élu local, le créateur de richesse, le prince, le pionnier, le bâtisseur, le pilier…. s’est retiré sous nos yeux et chemine vers l’éternité.   Nous nous devons de mettre aussi   à l’honneur ce que sa vie incarne : le travail, l’amour, la dignité,   la justice, le courage, la fidélité à ses convictions, le patriotisme.   Parti à 79 ans, il nous laisse le souvenir d’un grand homme. Un homme qui a donné à l’humanité ce qu’il pouvait humainement donner. La postérité s’en rappellera.

Adieu mon Dp !  Que Dieu t’accueille dans Sa Miséricorde infinie et Sa Félicité !

Aissatou Tatba (Journaliste)

 

 

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