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Nécrologie : Manu Dibango, le saxophoniste de légende tire sa révérence

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L’icône d’afro-jazz camerounaise de 86 ans, est mort le 24 mars 2020 à Paris des suites du coronavirus.

Des chefs d’Etat aux artistes en passant par des intellectuels, c’est une flopée d’hommages à Manu Dibango après sa mort le 24 mars. Le célèbre saxophoniste qui a hanté toutes les scènes, tous les hits, toutes les grandes manifestations musicales et autres d’Afrique et du monde, est l’une des victimes du Covid-19 les plus célèbres pour l’instant. Chevalier de la Légion d’honneur en 2010, Manu Dibango affichait jusqu’à récemment une forme éblouissante qui en impressionnait plus d’un. Ce qui lui avait permis de réaliser l’année dernière une magnifique tournée pour ses 60 ans de carrière à travers un Safari symphonique où ce saxophoniste hors pair avait mêlé jazz et musique classique.

Ce fut l’occasion de réapprécier de nombreux succès de son riche répertoire bâti à coups d’inspiration et d’ouverture à de nombreux styles grâce à des rencontres avec de grands chanteurs et musiciens. Léo Ferré à ses débuts peu après son arrivée en France en 1949, mais aussi Peter Gabriel, Serge Gainsbourg et bien d’autres personnalités des différents courants musicaux qui ont richement jalonné la scène internationale depuis les années 1950. Reconnaissable à sa grande taille, son crâne chauve et son rire inimitable, Manu Dibango est LE musicien africain du XXe siècle. Il a sillonné tous les continents et porté haut le flambeau du talent des musiciens africains.

Pas surprenant donc qu’il fut le premier d’entre les Africains à entrer dans les charts internationaux avec son « Soul Makossa », face B de l’hymne qu’il avait composé pour la Coupe d’Afrique des nations prévue au Cameroun. Inspiré d’un rythme du mouvement éponyme, ce morceau, sorti en 1972, a séduit bien des mélomanes et conduit la star qu’était Michael Jackson à le reprendre, mais sans le créditer, dans «  Wanna Be Startin’ Somethin’» de l’album Thriller en 1982. Un procès s’en est suivi puis un accord financier. Preuve de la reconnaissance internationale de son talent : Rihanna et Beyoncé aussi ont repris quelque chose des harmonies du Papy Groove. Dibango, « un bâtisseur de ponts ». « J’ai l’harmonie des Bach et des Haendel dans l’oreille avec les paroles camerounaises. C’est une richesse de pouvoir avoir au minimum deux possibilités. Dans la vie, je préfère être stéréo que mono », disait-il à l’AFP en août 2019, ponctuant ses réponses de son rire tonitruant et communicatif. Il faut dire que le parcours de Manu Dibango laisse rêveur. « Je suis un bâtisseur de ponts entre l’Occident et l’Afrique », ajoutera-t-il.

Né le 12 décembre 1933 à Douala, au Cameroun alors sous mandat français et britannique, dans une famille protestante très stricte, Manu Dibango est envoyé par son père fonctionnaire en France alors qu’il a tout juste 15 ans dans l’espoir d’en faire un ingénieur ou un médecin. Après 21 jours de bateau, Manu Dibango rejoint Marseille, puis Saint-Calais dans la Sarthe. Dans ses bagages, trois kilos de café – denrée rare dans l’immédiat après-guerre –, pour payer sa famille d’accueil. Puis il étudie à Chartres, où il fait ses premiers pas musicaux à la mandoline et au piano. Dans cet univers loin de son pays et principalement blanc, Manu Dibango a confié que l’adolescent qu’il était, qui de son propre aveu « ne connaissait pas la culture africaine », s’est identifié aux vedettes afro-américaines de l’époque. Elles ont pour nom Count Basie, Duke Ellington, Charlie Parker, etc. Le jeune Camerounais a trouvé ses « héros ». Il pourra ainsi poursuivre un chemin harmonique commencé par son oncle paternel qui jouait de l’harmonium alors que sa mère, elle, dirigeait la chorale. « Je suis un enfant élevé dans les Alléluia », confiera plus tard Manu Dibango.

Le déclic signifiant aura lieu lors d’une colonie de vacances. C’est là qu’il découvre son instrument fétiche : le saxophone. Et le voilà que traînant dans le Saint-Germain-des-Près de Boris Vian, il échoue à la seconde partie de son baccalauréat. Son père, mécontent, lui coupe les vivres en 1956. Le voilà qui part alors pour Bruxelles, où il court le cachet, jouant de la variété. « À mon époque, il fallait faire des cabarets, des bals, des cirques. Jouer avec un accordéoniste comme André Verchuren assurait quelques dates », racontera-t-il. Son séjour belge est marqué par deux rencontres fondatrices : la blonde Marie-Josée, dite « Coco », qui devient sa femme, et Joseph Kabasélé, chef d’orchestre de l’African Jazz.

Dans l’effervescence des indépendances, le musicien congolais lui ouvre les portes de l’Afrique. Manu Dibango le suit à Léopoldville (ancien nom de Kinshas) où il lance la mode du twist en 1962, puis ouvre une boîte au Cameroun. Trois ans plus tard, il est de retour en France, sans le sou. Il devient pianiste de rock pour Dick Rivers, organiste puis chef d’orchestre pour Nino Ferrer. En 1972, on lui demande de composer l’hymne de la Coupe d’Afrique des nations de football, qui doit se tenir au Cameroun. Sur la face B du 45-tours, il enregistre « Soul Makossa ». Des DJ new-yorkais s’entichent de ce rythme syncopé. Une autre vie commence. Le saxophoniste part jouer au théâtre Apollo, temple de la musique afro-américaine à Harlem, se métisse encore un peu plus en tournant en Amérique du Sud.

Illustre représentant de l’Afrique dans des environnements divers, Manu Dibango n’en est pas pour autant resté sourd et imperméable aux idées de soin époque. Entre les mouvements d’émancipation en Afrique, la lutte pour les droits civiques en Amérique, l’artiste a rêvé de panafricanisme, mais l’a aussi mis en œuvre. Il faut en effet se rappeler qu’à plusieurs occasions, dans plusieurs capitales africaines, Manu Dibango a rassemblé une ribambelle de musiciens du continent, qui pour lutter contre la famine en Éthiopie, qui pour diriger l’orchestre de la télévision ivoirienne, présidant même la société des droits d’auteur camerounaise. « Afro-européen », « négropolitain », comme il aimait se qualifier, Manu Dibango l’était, lui qui avouait pourtant entretenir des « relations ambiguës » avec son continent. « Chacun de mes séjours en Afrique s’est soldé par son lot de désillusions et de blessures », contait-il dans son autobiographie, Trois kilos de café.

Et pourtant, rarement l’Afrique aura été aussi fier d’un artiste de sa trempe. À ceux qui, en Afrique ou ailleurs ne prennent pas au sérieux le Covid-19, la disparition de Manu Dibango va certainement apparaître comme un électrochoc illustrant la nécessité de se protéger et de respecter toutes les consignes édictées par les scientifiques. Selon sa famille, ses obsèques auront lieu « dans la stricte intimité » et « un hommage lui sera rendu ultérieurement dès que possible ». Quoi qu’il en soit, Manu Dibango restera dans la mémoire des mélomanes africains et du monde entier comme le Papy Groove qui aura mis l’Afrique en orbite très haut au firmament de la musique internationale. Adieu l’artiste!

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